Aspects de la vie au Kuna Yala

Achutupu

Avertissement

Nous – Evelyne et Alain, à bord de Iaorana – ne sommes ni reporters, ni ethnologues. En outre, il serait illusoire d'espérer, en quelques mois de navigation, comprendre une population dont on ne parle même pas la langue. Nous ne pouvons donc exprimer que des impressions personnelles et fugitives, souvent anecdotiques – d'autant plus qu'avant de rédiger cette page, nous n'avions consulté aucun ouvrage spécialisé consacré au pays et à la culture kuna ! "Pas de complexe ! ", nous a dit un ami, "écrire des co...ies n'est pas plus répréhensible que recopier celles des autres" :-)

Donc pas de monographie du genre "Tout ce qu'il faut savoir sur les Kuna" dans ce qui suit : il ne s'agit que d'impressions, présentées sans ordre logique, telles que nous les avons perçues au fur et à mesure de notre séjour. Pour plus d'information (géographique, historique, sociale etc.), vous pouvez entrer "Kuna Yala" dans un moteur de recherche Internet : vous récolterez des milliers de références de pages, presque exclusivement en Anglais et en Espagnol, souvent superficielles et mal documentées, quand il ne s'agit pas de simples brochures touristiques !

Si vous disposez d'un accès Internet rapide, vous pouvez vous épargner ce tri fastidieux en téléchargeant (3,5 Moctets) le mémoire de J. Forichon "Les Kuna du Panama confrontés à la gestion de nouveaux déchets ménagers". Sa 1ère partie (30 pages) contient une présentation synthétique, claire et bien documentée du pays et du peuple Kuna.

En complément, nous donnons in fine une liste de liens vers des sites kuna intéressants à explorer.

Cliquez sur les imagettes ! Pour limiter la durée de chargement de cette page, les photos n'y figurent qu'en images réduites que l'on peut agrandir sur demande. Si l'on place le curseur sur une imagette, la taille en octets de l'image agrandie apparaît. Un clic et celle-ci s'ouvre dans une fenêtre séparée, redimensionnable (attention : cette fenêtre ne se ferme pas toute seule, et elle peut être masquée par la fenêtre principale !).

Typographie : les mots kuna sont en italique, sans marque de pluriel ; les mots espagnols sont entre parenthèses ou guillemets.

Sommaire

[Page d'introduction] [Chapitre "Nos escales"] [Chapitre "Navigation"]


Très parcellaires, ces aspects de la vie au Kuna Yala sont présentés de façon informelle, tels que nous les avons perçus au fur et à mesure de notre séjour. Pour une information plus complète, voir in fine. Les détails de certaines anecdotes figurent au chapitre "nos escales".

Population

64KLa "Comarca de San Blas" est une région autonome de la République du Panamá. Les Kuna préfèrent l'appellation Kuna Yala (le Pays Kuna), ou, pour les plus traditionalistes, Dulenega (litt. "la Maison du Peuple"). Les statistiques officielles font état d'environ 60 000 Kuna vivant au Panamá, dont le tiers en ville, hors de la Comarca. Quand on questionne les Kuna sur l'effectif de leur village, les réponses peuvent varier du simple au triple, selon qu'ils comptent ou non les enfants ! Or ceux-ci sont très nombreux, le taux de natalité au Kuna Yala étant très supérieur à la moyenne du Panamá. La mortalité aussi est élevée, accentuée par la fréquence des accidents (à la pêche, dans la forêt), des rixes en ville (principalement à Colón) et de maladies "modernes". Les orphelins sont complètement intégrés dans leur famille proche.

L'isolement entre villages a favorisé l'endogamie, donc les consanguinités à qui l'on impute généralement la présence de nombreux albinos. "Fils de la Lune", souvent nyctalopes, ils sont la fierté de leur famille qui les choient particulièrement. Peu cependant atteignent l'âge adulte.

Langue

La langue officielle de la République du Panamá est l'espagnol, mais au Kuna Yala, on communique en dule gaya. Cependant, du fait que l'enseignement scolaire, sous tutelle de l'état panaméen, est exclusivement dispensé en espagnol, les Kuna qui ont fréquenté l'école le parlent – plus ou moins bien : peu de femmes, beaucoup d'hommes, tous les enfants scolarisés. Très peu parlent l'anglais, mais beaucoup de jeunes souhaitent l'apprendre.

Dule gaya, langue parlée, se transcrit phonétiquement, à l'espagnole, sans codification rigoureuse. Il ne faut donc pas s'étonner si l'orthographe varie, comme la prononciation, selon les régions, les villages ou même l'humeur des individus ! Ainsi beaucoup de consonnes se confondent, notamment d avec t, b avec p, g avec k ; de même pour les diphtongues, comme an avec au. L'accent tonique porte sur l'avant dernière syllabe.

Un exemple : le nom des îles comporte généralement le suffixe tupu (île), par exemple Sugtupu (Ile au Crabe). La voyelle finale u étant quasi muette (comme en Corse ;-) surtout à l'W de Kuna Yala, on trouvera des transcriptions variées, comme Sugdup ou Suydub.

Pour plus de précisions sur les subtilités de la langue, on pourra consulter les actes du séminaire sur la langue Kuna.

Nous n'avons pu trouver de dictionnaire, mais il circule dans les mouillages quelques glossaires ou lexiques limités, à partir desquels nous avons compilé un petit lexique quadrilingue de 200 mots. Il est disponible en téléchargement sous forme d'un tableau Microsoft® Excel dicokuna.xls (comprimé en .zip) qui vous permettra de classer alphabétiquement les mots selon la langue de votre choix, ou leur catégorie.

Noms et prénoms

Curieusement, les noms de famille des Kuna sont espagnols (Hernandez, López, Muñoz, Ortiz, Pérez...) parfois même anglo-saxons (Brown, Smith...). Lorsque les services d'état civil panaméens ont recensé la population, il y a près d'un siècle, la plupart des habitants, ne comprenant pas l'espagnol, n'ont pas su décliner leur identité. Ils se sont donc vu imposer des patronymes arbitraires, à l'instar des Antilles anglaises et françaises après l'abolition de l'esclavage. Par effet d'entraînement, ils ont eux-mêmes donné à leurs enfants des prénoms européens (ou à consonance européenne) comme Albericio, Crisdalina, Delfino, Uvelina, Lidicia, ou même Maigel (ben oui, comme "Maigel" Jackson ;-). Depuis quelques années, toutefois, la réaffirmation de leur identité ethnique se manifeste par un timide retour aux noms et prénoms traditionnels, surtout chez les intellectuels. Par exemple, l'écrivain Vianor Pérez R. est plus connu de ses compatriotes sous son identité "vraie" : Iguaniginape Kungiler. Mais la plupart des Kuna apprécient peu la consonance de ces noms traditionnels. Pablo et Jacinta ont prénommé une de leurs filles Waicadir (prénom de la femme qui, il y a des siècles, aurait appris la poterie aux Kuna), mais tout le monde l'appelle Waica...

Contrairement à ce qu'on dit souvent, la société kuna n'est pas matriarcale, ni même (ou plus) matrilinéaire : dans toutes les familles kuna que nous avons connues, les enfants portent le nom de leur père, chef de famille (mais c'est peut-être imposé par la loi de l'état panaméen ?). Et, dans le choix de la résidence familiale, les contraintes professionnelles ou scolaires prennent de plus en plus le pas sur la matrilocalité traditionnelle, selon laquelle le nouvel époux vient habiter dans la famille de son épouse, et où la fille aînée hérite de la demeure familiale.

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Pirogues

18KC'est en pirogue (cayuco, ulu, ur en abrégé) que les Kuna établissent le contact avec les navigateurs. C'est leur unique moyen de transport dans une région dépourvue de routes et même de pistes. Véhicule nécessaire et suffisant pour des insulaires dont les ressources, et par conséquent le lieu de travail, se trouvent en dehors de leur île de résidence.

69KChaque famille possède au moins un ulu, que toutes et tous, de 7 à 77 ans, savent manier avec force et dextérité. Les occupants des ulu qui s'approchent du bateau (lorsque c'est autorisé par leur Congrès) se signalent qui par des sifflements d'oiseau, qui par un "¡Hola!", ou bien en lisant le nom du bateau sur la coque. Ils se manifestent à n'importe quelle heure du jour, mais de préférence pendant la sieste ! Si personne ne répond, ils s'éloignent aussi discrètement qu'ils sont venus.

Construction

138KPatiemment taillée à la machette et à l'herminette dans un tronc de pin, puis goudronnée (protégez votre gelcoat encore immaculé ;-) la coque d'un ulu est un exemple imparfait de construction monolithique, désastreux sur le plan de la robustesse et de la longévité : un ulu ne dure guère plus de 5 à 8 ans : l'étrave, point faible où le bois est de bout, finit par se fendre horizontalement ! Coût moyen : $350. Les rares familles qui peuvent s'offrir un moteur HB de 4 à 10 ch (pêcheurs/négociants en langoustes par exemple) font tronquer l'arrière pour y rapporter un tableau.

Les voiles sont souvent des patchworks complètement hétéroclites (sacs de riz etc.), bien vite troués ou déchirés. Certaines témoignent cependant d'un effort artistique indéniable (image ci-dessous). Au repos, la GV est enroulée autour de la bôme et de la livarde rabattues le long du mât. Il faut moins de 30 s et 3 nœuds gansés pour gréer ou dégréer un ulu – les véliplanchistes apprécieront !

Performances

107K Le grand allongement des ulu leur confère une remarquable vélocité, à la voile comme à la pagaie. Ils permettent aux Kuna d'aller pêcher (ou vendre des mola) très loin de leur village, parfois à plus de 15 NM ! Ils souffrent en revanche d'une stabilité latérale précaire, bien moindre que celle d'un canoë canadien. A la voile, dans 2 m de creux, avec 5 à 10 personnes à bord, vous imaginez le numéro d'équilibre collectif ! Aussi, malgré toute l'habileté des Kuna, on ne compte pas les ulu chavirés, leurs occupants noyés ou dévorés par les requins... A la voile, la grande pagaie (kami) sert de gouvernail, calée contre le bordé sous le vent par la force de dérive. On voit parfois un pêcheur solitaire, voilure haute, tenant kami dans une main, ligne de traîne dans l'autre, tout en fredonnant gaiment. De temps en temps, il doit en outre écoper avec une demi-calebasse ! Au près, pour limiter la gîte, un équipier monte parfois au trapèze. C'est souvent un des fils du pêcheur, pour qui les parents ont fait le choix : il n'ira pas à l'école, mais apprendra le métier de son père.

Pourquoi ne voit-on presque pas d'ulu à voile à Mamitupu, alors qu'ils foisonnent au village voisin d'Achutupu ? Le premier est peuplé surtout d'agriculteurs, directement originaires du continent. Le second a été fondé par des habitants de Cartí (lointain village de l'W des San Blas), marins, pêcheurs et plongeurs. Les pêcheurs d'Achutupu vont parfois très loin en pleine mer avec leurs ulu à voile, alors que les paysans de Mamitupu se contentent de la pagaie pour parcourir les 500 m qui les séparent du "monte".

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Habillement

149KDes peintures et maquillages ancestraux, masculins comme féminins, il ne subsiste plus que le fard rouge aux joues, et le trait noir le long du nez, destiné à éloigner les nia (mauvais esprits). Il y a très longtemps que les Kuna ont abandonné les parures et vêtements amérindiens d'origine. Aujourd'hui, plus personne ne sait tisser les étoffes, désormais importées de Chine. Donc mondialisation vestimentaire quasi totale, sauf pour les femmes, dont la plupart restent fidèles à leurs blouses (agrémentées de mola – voir ci-dessous) et à leurs parures traditionnelles (image ci-contre). La sortie de la réunion hebdomadaire du Congrès féminin de Mamitupu, où chacune a revêtu sa plus belle toilette et ses bijoux en or (olo), est un véritable enchantement !

76KLeur paréo-jupe (sabured) est porté par dessus un jupon serré en coton grossier. Elles conservent, en principe jusqu'à leur mort, leurs wini, parures de bras et de jambes de leur mariage. Les perles sont enfilées au fur et à mesure de l'enroulement, de façon à dessiner le motif géométrique final (image ci-contre). Le fil doit être changé tous les 3 mois environ (usure, glissement des spires, chevilles enflées...). Il faut alors une journée entière pour reconstituer chaque wini ! En revanche, l'anneau dans le nez (argolla) semble en voie d'abandon par les jeunes générations.

71K Dans les îlots-plantations, ou chez elles quand il fait chaud, les femmes retirent leur blouse, renouant ainsi avec les vieilles traditions mises à mal par le puritanisme des missionnaires des siècles passés. Quelques-unes arborent alors fièrement leur soutien-gorge en dentelle, signe d'élégance et peut-être de richesse (image ci-contre). D'ailleurs le budget "fringues" semble nettement à part : certaines familles se prétendent trop pauvres pour se nourrir ou se faire soigner, mais les vêtements sont neufs et de qualité, voire luxueux – témoin les tenues de sport portées par les adolescents, ou bien les costumes de cérémonie des bébés !

Habitat

104KLes huttes (nega) des Kuna sont petites, simples et dépouillées : l'ossature est constituée de gros poteaux, profondément fichés en terre, complétés de solides poutres horizontales en haut des cloisons – capables entre autres de supporter la forte traction des hamacs. Le reste est de structure plus légère, à base de bambous (murs, cloisons, charpente du toit) et de palmes (couverture) noués avec des fibres végétales très résistantes, ou (de plus en plus) de la mauvaise ficelle, sans clou ni vis.

Chaque famille vit dans un ensemble de huttes rassemblées dans un enclos souvent exigu, faute de place dans un village entouré d'eau et surpeuplé. La grande hutte (nega tummad) sert à la fois de salle de séjour et de dortoir. Mis à part les hamacs, repliés le jour, le mobilier est réduit à sa plus simple expression : rien ! Sauf peut-être 1 ou 2 tabourets bas massifs, taillés dans un tronc d'arbre, qui font progressivement place à des fauteuils de jardin en plastique (jaunes, verts, roses...) – parfaitement incongrus dans un tel environnement mais, il faut l'avouer, plus confortables ! Pas de penderie : les vêtements sont jetés par dessus les poutres. Aucune fenêtre : la lumière du dehors n'entre que par la porte d'entrée, étroite et basse.

82KLes tâches domestiques sont accomplies dans une seconde hutte (soenega, la maison du feu). S'il pleut, c'est aussi là que se prennent les repas. Au fond, le foyer, proche d'une ouverture pratiquée entre les bambous pour laisser entrer l'air, une autre dans les palmes du toit servant de cheminée. Le feu couve en permanence. S'il vient à s'éteindre, on va chez les voisins chercher une branche rougeoyante et on réattise à l'aide d'un éventail tressé (biibi), ou à défaut un... couvercle de boîte en plastique. Quelques gamelles, dont un grand fait-tout pour cuire la soupe ou le riz. Les assiettes, bols et couverts se comptent sur les doigts des deux mains... Bien entendu, il n'y a pas de table, chacun mange sur ses genoux.

155KLes villageois qui habitent près du rivage possèdent un petit ponton sur pilotis, dont l'extrémité porte une cahute carrée qui sert de WC privé. Pour les autres, il y a des latrines publiques. La douche se prend dans la cour, plus ou moins discrètement (image ci-contre). Les plus favorisés y installent un robinet d'eau courante, si le village dispose d'un "aquaducto". Dans les îlots-plantations, très peu peuplés, il n'y a pas de toilettes (on va sur la plage), mais on jouit en revanche d'une hutte pour la sieste, protégée du soleil et dépourvue de murs (sauf du côté du vent dominant), abondamment pourvue en hamacs.

Dans presque tous les villages, et surtout les plus grands, on remarque quelques constructions en béton : délabrées, moisies, insalubres, souvent abandonnées. Le bâtiment administratif (intendencia) à Porvenir est un modèle du genre !

Villages

La plupart des villages sont installés dans des îles proches du continent, près de l'embouchure d'un río, c'est à dire d'un point d'eau douce. Pourquoi les Kuna se serrent-ils ainsi dans des îles exiguës, tandis que le continent reste pratiquement inhabité ? A Mamitupu, les habitations sont tassées dans la partie N de l'île, alors qu'il reste tant de place libre au S ! C'est tout simplement un réflexe défensif, réminiscence des siècles de lutte et de fuite devant divers envahisseurs (autres tribus, Espagnols, Colombiens..., mais aussi crocodiles, serpents, jaguars...). Les grands-mères apprennent encore aux jeunes enfants à se méfier non seulement des boni (mauvais esprits) mais aussi des "Colombianos" (terme générique désignant, dans ce contexte, tous les ennemis passés des Kuna).

93KA Ukubseny, ce sentiment défensif s'extériorise de façon violente dans les reconstitutions annuelles de "l'épuration ethnique" entreprise par les habitants de ce village (et quelques autres) lors de la Révolution Kuna de 1925, dirigée contre les autorités panaméennes. Les "rifles" en bois visibles sur l'image ci-contre sont destinés à "matar los Colombianos" qui viendraient importuner les Kuna, nous dit Federico en souriant !

Nourriture

Voir le chapitre Avitaillement au chapitre Navigation. Malgré des pénuries temporaires de certaines denrées importées, point de risque de malnutrition au Kuna Yala ! L'eau ne manque pas : il pleut énormément de mai à décembre, et les ríos ne sont jamais à sec. Autrefois, les villageois(es) allaient en ulu y remplir leurs bidons. Aujourd'hui, à l'exception des îles Cartí, chaque agglomération importante est équipée d'un "aquaducto" : l'eau est captée le plus en amont possible du río ; une canalisation en PVC l'achemine par gravité jusqu'à un château d'eau situé soit sur la plage en face de l'île, soit sur celle-ci.

Les repas sont rarement pris en commun, ne serait-ce qu'en raison des horaires et lieux de travail des différents membres de la famille. Certains ne font qu'un seul vrai repas par jour (en soirée). D'autres au contraire en font 2, voire 3. Par exemple :
– Avant de partir à la pêche ou aux plantations, vers 5 h du matin, un petit déjeûner (café, pain).
– Vers midi, au retour du "monte", le dule masi (sopa), soupe épaisse et blanchâtre à base de plantains, additionnée de yucca, coco rapée, parfois de riz ;
– Avant la nuit, vers 18 h, un dîner de poisson grillé ou au court-bouillon, accompagné de riz, ou à défaut d'ignames etc.

Il y a bien sûr des particularités locales. Allez savoir pourquoi les habitants de Mamitupu préfèrent le chocolat au café, alors que c'est l'inverse à Ustupu, quelques kilomètres plus loin vers l'E ?

Les fruits se consomment plutôt hors des repas (à la plantation, en navigation dans le ulu) ou bien avant le dîner. S'il n'y a pas d'eau de boisson, on décapite une noix de coco d'un coup de machette (machete) – l'outil à tout faire. C'est d'ailleurs le seul qu'utilisent couramment les Kuna, mise à part une pince à branches très longues employée dans la "production en série" des amandes de coco destinées à l'export. Cet outil leur permet d'ouvrir la coque épaisse des noix de coco sans se baisser : il faut d'abord le planter dans le fruit – en visant bien pour ne pas se transpercer le pied – puis écarter les branches pour entrouvrir la coque.

Bière, sodas, Coca-Cola sont très chers (autour de 75 cts la boîte), ce qui limite pour le moment leur diffusion.

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Organisation, vie sociale

L'organisation, comme les modes de vie, n'est pas uniforme au Kuna Yala : chaque village a ses spécificités, héritées de l'origine et de l'histoire particulières de ses habitants, ainsi que des contraintes de la vie économique.

Qualitativement, cependant, on retrouve partout les mêmes traits caractéristiques des Kuna, dominés par :
– le souci de préserver leur autonomie,
– leur sens de l'organisation,
– leur art de la communication.
Les seconds ne sont-ils que des moyens reconnus nécessaires pour satisfaire le premier ? De la poule et de l'œuf... (les Kuna adorent les métaphores ;-). Peu importe : pour les Kuna, Mère Nature est un tout indivisible. On ne peut traiter séparément le matériel et le spirituel, l'individuel et le collectif, les minéraux, les végétaux, les animaux et les humains, etc. Et toute action locale inconsidérée peut déséquilibrer tout l'ensemble.

Le Congrès

Le Kuna Yala est régi par une Constitution démocratique, négociée dans les années 1950 avec l'état panaméen. Au niveau local, elle se traduit par une réglementation particulièrement coercitive, centralisée au niveau du Congrès (Congreso), l'assemblée municipale. Un visiteur résumait ses impressions en ces termes : "c'est tout juste s'il ne faut pas demander au Congreso la permission pour aller pisser" ! Nous avons été témoins de telles contraintes (à Mamitupu, à Tikantikí). Contagion de la bureaucratie "ladino" ? Ou bien résultat des réflexions de générations successives de leaders Kuna, conscients des faiblesses humaines ?

Les obligations ne sont pas en reste : tout adulte (actif) du village est tenu d'assister, sous peine d'amende (multa), à la réunion pleinière hebdomadaire du Congrès. Celle-ci se tient dans la Maison du Congrès (onmaked nega), immense hutte abondamment pourvue de bancs. Plusieurs heures durant, sous la direction du sayla – à la fois maire et curé – de ses adjoints et de son porte-parole (argar), à califourchon sur leurs hamacs au centre de la salle, les villageois vont débattre et décider de tout ce qui concerne la commune, l'organisation du travail, les affaires de justice etc. Tout le monde est présent, donc peut intervenir et voter. Les longs sermons, prononcés sans aucun papier, évoquent plus une messe qu'une réunion de conseil municipal ! Point de décorum ni de cérémonial compliqué : la solennité indispensable pour mieux persuader, et renforcer l'autorité, se concentre dans les modes d'expression. Le sayla s'exprime à l'aide de poèmes chantés, dans un niveau de langage qui, pour être compris par les auditeurs lambda, nécessite une "post-traduction" dont se charge admirablement l'argar (sa mémoire est prodigieuse !). A la fin de la séance, tout le monde chante en chœur, ce qui renforce la cohésion de la communauté.

Hors des séances pleinières, la Maison du Congrès est presque vide : lorsqu'il n'est pas aux champs ou à la pêche, comme le plus pauvre de ses administrés, le sayla y médite (en chantant), ou discute avec ses adjoints (en chantant). Aux heures les plus chaudes, on peut entrer dans la Maison du Congrès pour y trouver un peu de calme et de fraîcheur, y coudre sa mola... Il n'y a pas d'exclusion : même nous, waga (étrangers) pouvons nous asseoir sur un banc du Congrès, en séance ou non : cela ne choquera personne.

Education

L'éducation traditionnelle Kuna est du ressort de la famille. En revanche, l'éducation publique est réglementée par le ministère de l'éducation de l'état panaméen. Tous les enfants ne vont pas à l'école, leurs parents choisissent en fonction des affinités et des possibilités financières. Certes l'école primaire du village (1er au 6ème "grado") est gratuite, mais les livres scolaires coûtent cher, et, ici comme ailleurs, ils changent chaque année avec les programmes. Pour suivre des études secondaires, il faut aller dans les plus gros villages – en pension chez l'habitant, à moins que toute la famille n'y déménage pour la durée de l'année scolaire (du 15 mars à Noël). On parle d'un projet d'université à Ustupu – actuellement, les études supérieures se font à dans la capitale du Panamá.

Santé

119KGlobalement, les Kuna sont en bonne santé, ce qui ne saurait étonner vu leur cadre de vie ! Néanmoins, on voit beaucoup de maladies de peau chez les enfants et les jeunes mères, et surtout chez les albinos. Malgré la relative propreté des rues et de l'habitat (très variable selon les villages ou le degré de motivation des sayla) l'hygiène laisse à désirer, et le traitement des décharges (quand elles existent) souvent inexistant. Dans quelques villages, on commence à brûler les ordures, mais sans se préoccuper des fumées nocives qu'elles produisent. Idem pour le brûlage des plantations et palmes de cocotiers, qui, selon l'infirmière du dispensaire de Mamitupu, sont cause de nombreuses affections pulmonaires.

Remarquons au passage un des effets pervers de la "civilisation" occidentale exportée chez (ou importée par) les peuples "primitifs": autrefois, leurs déchets ne pouvaient s'accumuler, car tous et intégralement biodégradables ; aujourd'hui, comme bien d'autres, les Kuna jettent à la mer un bidon de plastique comme ils le font d'une peau de banane, sans réaliser que la nature est incapable de détruire le bidon !

Rares sont les médecin panaméens qui acceptent de s'établir aux San Blas, car les Kuna sont trop pauvres pour s'offrir soins et médicaments. Il y a bien un dispensaire dans la plupart des villages, mais on y pratique surtout les accouchements et le dépistage de maladies comme la tuberculose etc. Reste heureusement la médecine traditionnelle kuna, encore très vivace.

Le système de santé kuna ressemble à s'y méprendre au nôtre – enfin... presque, jugez vous-même ;-) Si un de ses membres tombe malade, la famille tente d'abord de se débrouiller seule : on fait appel à l'expérience des seniors, on fouille dans le panier à herboristerie pour essayer quelques extraits de plante, on psalmodie les chants appropriés... Si le conflit entre le malade et la nature demeure, on consulte alors le médecin-généraliste (nele) pour qu'il établisse un diagnostic. Afin d'améliorer son pouvoir perceptif, déjà exceptionnel car inné, le nele fait brûler quelques amandes de cacao ou fume le petit joint ad hoc. Comme tout bon médecin, il s'intéresse à l'ensemble de l'environnement du malade : présent et passé, familial, matériel, moral et spirituel. Il peut faire appel à un absogued dont les chants l'aideront à écarter les esprits responsables de la maladie. Le diagnostic établi, interviennent alors les thérapeutes spécialisés. Dans un village, il y en a une bonne douzaine, aux compétences très pointues : tel spécialiste des reptiles, par exemple, sait non seulement traiter les morsures de serpents, mais communiquer avec eux : les appeler, leur faire la morale (?), puis les renvoyer chez eux...

83KAlcool et tabac ne se consomment que rarement : à la fin des cérémonies et fêtes, collectivement, dans un grande hutte réservée à cet usage (inanega). La chicha est un alcool de canne de faible degré (du moins au stade où nous l'avons goûté !) mais pas inoffensif quand absorbé par bols entiers durant 1 à 3 jours... Federico, sayla-adjoint qui fut notre guide à Ukubseny, réprouve cette tradition, qui a causé un décès durant notre séjour. Les femmes les plus âgées fument encore la pipe, mais les autres ont un faible pour les cigarettes américaines (image ci-contre).

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Vie économique

Pour pouvoir travailler à Panamá, il faut y passer une visite médicale qui coûte $50, hors de portée de beaucoup de demandeurs d'emploi. Cela limite quelque peu l'exode des Kuna vers les grandes villes du pays.

Agriculture, pêche

Les Kuna ne sont pas propriétaires de leur terre, au sens où ils ne peuvent pas la vendre. Mais ils en possèdent l'essentiel, à savoir les plantations et constructions que leurs aïeux ou eux-mêmes ont effectuées, après avoir défriché des terrains encore vierges d'une île ou du "monte". Les noix de coco récoltées par chaque famille (de l'ordre de 1000 par mois) sont vendues, soit directement aux "canoas" colombiennes, soit aux "tiendas" locales qui les revendent aux mêmes Colombiens, avec un bénéfice d'environ 20 % (mais sans TVA ;-). Ces produits sont payés soit en dollars, si les acheteurs en détiennent, soit en échange de riz, sucre, sel et autres produits (voir le chapitre Avitaillement au chapitre Navigation).

Le poisson est limité à la consommation locale. Les langoustes sont expédiées par avion vers la capitale. Chaque village a son "aeropuerto", grâce aux nombreuses pistes construites par les USA lors de la 2ème guerre mondiale.

Mola

167KExportées en tant qu'objets d'art dans le monde entier, les mola (en abrégé mor) ornent par paire le devant et le dos du corsage des femmes. On dit que cet art apparut au XIXe siècle, lorsqu'il fallut trouver un substitut "fonctionnel" aux peintures polychromes du torse nu des femmes, contraintes par les missionnaires à se vêtir plus "décemment". Les mola cousues sur leurs blouses restent donc plutôt traditionnelles, où prédominent tons rouges et sobres motifs amérindiens. En revanche, les mola commercialisées présentent une très ample variété de styles, de sujets et de couleurs – de complexité, de prix, de finition et de qualité artistique aussi ! Ci-contre quelques œuvres d'Adelaida, à Mormakedup.

Mais le plus fascinant réside sans doute dans la technique de réalisation, qui exige elle-même un "design" préalable assez subtil.
96KExaminons un coin d'une des mola de l'image précédente. Il révèle la superposition de 5 couches principales d'étoffes de couleurs différentes : bordeaux, orange, noir, bleu et, à nouveau, bordeaux. Chacune des 4 couches supérieures est ajourée de façon à laisser apparaître les couleurs des couches placées en dessous (technique d'appliqué inversé). Localement sont intercalées ou superposées (en appliqué direct cette fois) des pièces plus petites de couleurs variées : blanc, rose, jaune, vert, mauve... Les coutures, quasi invisibles, sont faites au point de surjet, avec un fil de même couleur que le tissu, en rabattant finement le bord. Cette mola comporte quelque 40000 points (oui, nous les avons comptés ;-) . Sa réalisation a demandé 3 semaines de travail, pour un prix de vente de $30.

175KLes motifs trop fins pour être réalisés en appliqué sont brodés – au point de feston, de chaînette, d'épi etc. (ci-contre détail d'une mola de Jacinta). Les différentes techniques sont combinées en proportion variable, selon le style et la complexité graphique du sujet – et les aptitudes de la couturière ! Ainsi les mola à dominante bleue et motifs de poissons, qui sont très appréciées par les touristes occidentaux, font surtout appel à l'appliqué direct et à la broderie, alors que les mola classiques à dominante rouge restent fidèles à l'appliqué inversé.

Vie culturelle, loisirs

Pour une description des cérémonies kuna, voir la monographie Kuna Yala o Dulenega.

Windows Media Video 300K En dehors des chants sacrés et des chansons que fredonnent les Kuna en travaillant, la musique traditionnelle est étroitement associée aux danses folkloriques. Il n'y a pas d'instrumentistes purs : tout en dansant, les hommes jouent de la flûte de Pan, tandis que les danseuses agitent une maraca. Le clip vidéo ci-contre en donne une petite idée (cliquez sur l'imagette) – plus de détails à Sugdup.

51KLes enfants chantent les chansons apprises à l'école "ladino". Ils ont peu de jouets, hormis ceux qu'ils se confectionnent eux-mêmes, notamment de minuscules cerfs-volants, accrochés à un fil de pêche emprunté à leur père. On commence à trouver, dans les "tiendas", des petites voitures, camions, avions, tanks... Nous avons même aperçu une console de jeux, probablement ramenée de la ville par un père "moderne" ! Mais le plus beau des jouets, c'est incontestablement un ulu, même cassé en deux comme celui-ci, avec lequel 3 garçons d'Ukubseny ont fait les pitres derrière notre bateau pendant toute une matinée !

Le basket-ball est le sport favori, avec au moins une équipe et un terrain dans chaque village. C'est plutôt étonnant vue la petite taille des Kuna en général ! Mais ici comme ailleurs, les nouvelles générations sont plus grandes que leurs aînées et les adolescents sont souvent très "baraqués". Impressionnants, les paniers "à 3 points" marqués par les joueurs d'Achutupu !

On remarque quelques antennes de TV dans les villages. Mais ne nous leurrons pas : ce n'est que l'absence de réseau électrique qui limite actuellement le nombre de récepteurs ! Au Kuna Yala, il n'y a ni marchands de journaux, ni librairies, mais on s'arrache les revues rapportées de temps à autre par les "expats" qui travaillent dans les grandes villes.

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Relations avec les waga (non-Kuna)

Ambiance

Au village, dans les plantations, à la pêche, tout se fait lentement, calmement. Il n'y a pas de métro à prendre, on ne court pas : on se promène ! Pas de hurlements ni d'altercations : les Kuna paraissent toujours d'humeur égale. La femme qui, après avoir longuement pagayé jusqu'à votre bateau, n'a pas réussi à vous vendre de mola, va dissimuler sa déception et s'en retourner en conservant son joli sourire. Plus extraordinaire : on n'entend jamais d'enfants pleurer ! Et ce même en fin d'après-midi, quand chez nous, la tension monte entre enfants et parents, fatigués et énervés par une journée de stress. Le secret ? Les parents s'occupent vraiment de leurs enfants, et pas seulement quelques minutes par jour ! Si la maman et la grand-mère sont occupées, c'est la grande sœur ou la cousine, parfois le grand-père, qui passe le temps qu'il faut à se balancer dans un hamac, le bébé contre soi, en répétant inlassablement une mélodie lancinante, vigoureusement rythmée à l'aide d'une maraca.

87KLes enfants, qui eux n'ont pas encore appris à rentrer leurs émotions, vous accueillent avec exubérance (image ci-contre) et des bordées de "¡Hola!", heureux de vous accompagner dans le village en vous prenant la main. Les hommes âgés vous saluent d'un geste jovial, tandis que les femmes vous retournent le traditionnel nuedi (en traînant le e). Seuls quelques ados au visage renfrogné, vraisemblablement mal dans leur peau, vous snobent en écoutant leur combo radio-CD made in China...

On entre dans les huttes des voisins sans frapper (sur quoi frapperait-on ? il n'y a pas de porte ! ) On vous offre un siège, on range un peu autour, on réajuste ses vêtements...Puis on vous demande votre prénom (be iguinuga ?) et on s'en souviendra, même après plusieurs mois. Enfin, invariablement, combien vous avez d'enfants et de petits-enfants. Les Kuna, intarissables bavards, rient aussi volontiers : une plaisanterie suffit pour dérider l'atmosphère. Un jour, en visite dans une famille de Mamitupu, Evelyne éternue. Mais au lieu de l'habituel "atchoum", elle articule "atchou-toupou" : franche rigolade chez nos hôtes, ravis de pouvoir se moquer gentiment d'Achutupu, le village voisin et concurrent !

Y'a-pas-photo !

26KSi l'on tente de les photographier, les femmes se détournent, ou voilent leur visage avec leur muswe (foulard) – sauf si vous venez de leur acheter une mola, un collier ou un bracelet et que vous leur demandez la permission. Si vous sollicitez l'autorisation de faire une photo ou une vidéo dans un village, on vous réclamera parfois un petit billet vert. Interdiction absolue de photographier dans les cimetières, pourtant très pittoresques !

80KMais la situation change rapidement avec la généralisation des appareils numériques et des imprimantes à jet d'encre. D'abord, ils permettent de montrer sur le champ le résultat aux sujets, grâce à l'écran de l'appareil. Malgré la petitesse de l'image, rires et commentaires fusent : envolée la réserve habituelle des Kuna ! Mais surtout, on peut leur donner une copie du cliché sous quelques heures. A Mamitupu, le Congrès l'a bien compris qui vient de lever l'interdiction de prendre des photos dans le village. A Achutupu, Alvin nous a demandé de faire une photo de sa grand-mère de 86 ans à son côté "pour en garder un souvenir avant qu'elle ne meure".

Si vous disposez d'une imprimante, approvisionnez donc une quantité suffisante d'encre et de papier. Pour ne pas vous ruiner, choisissez du papier de qualité moyenne plutôt que du papier photo de luxe ! Car si vous tirez le portrait de "Bébé dans les bras de Maman pour envoyer à Papa qui travaille à Panamá", toutes les mamans du village risquent de vous en réclamer autant : photos de groupe, puis individuelles, par couples, demain-avec-une-autre-robe etc. Préparez une stratégie défensive, du genre "je n'ai plus de cartouche d'encre de rechange" ; et n'ajoutez pas "de couleur", car on vous rétorquera que ça ira très bien en noir et blanc – les Kuna sont de redoutables rhétoriciens !

Mendicité ou bizness ?

Les Kuna sont-ils aussi mendiants que le prétendent certains plaisanciers, qui n'ont probablement fait qu'un court séjour aux San Blas ? Deux scènes que nous avons vécues pourraient accréditer cette thèse : l'une à Ailigandi, l'autre à Ukubseny. Si des Kuna ont pris l'habitude de demander l'aumône à des étrangers, c'est que ça doit réussir souvent, et depuis longtemps ! Dès le début du XXe siècle, des milliers de Kuna ont participé à la construction du Canal de Panamá. Par la suite, un siècle de présence conjointe Yankee/Dollar au Panamá a inévitablement laissé son empreinte au Kuna Yala !

Politiquement autonomes, mais tout sauf isolés du reste du monde, les Kuna – surtout dans les gros villages – ont peu à peu perdu leur autosuffisance économique, et par là-même, la dose d'énergie et de courage nécessaire pour l'assurer. Pour se procurer la plupart des biens de subsistance autres que fruit et poisson, ils ont donc besoin de "plata" (mani, de "money"), d'où
– leur ardeur pour vendre des mola ( leur seule production exportable autre qu'agricole),
– la mendicité de la part de certains (et pas forcément des plus pauvres),
– plus récemment, la participation au trafic de cocaïne (l'argent facile).

Depuis longtemps, les leaders spirituels Kuna ont compris les dangers de la monétarisation, sans toutefois se faire d'illusions sur les façons d'y remédier. Afin de limiter les dérives, les sayla de certains villages interdisent à leurs administré(e)s d'aller démarcher les bateaux de plaisance.

Dans tous les cas, un refus poli suffit pour éloigner les importuns. Finalement, le désagrément pour les visiteurs est minime, certainement bien moindre que celui subi dans certaines îles de l'arc antillais !

Merci

On prétend aussi que les Kuna ne disent jamais "merci", notamment après un service rendu. Et pour cause : le langage kuna n'a pas d'équivalent exact de ce mot ! La connotation existe bien dans la formule de salutation générique nuedi : bonjour, au revoir, comment allez-vous (comme "salut" ou "ciao"), ça va bien, c'est bon, merci... Mais elle exprime probablement plus la satisfaction que la gratitude. Curieusement, ceux qui parlent espagnol, notamment les enfants, s'empressent de vous dire "gracias" après un achat ou un cadeau de votre part ! Comme quoi les témoignages formels de reconnaissance sont surtout affaire de conventions !

Douglas Bernon, du bateau Ithaka, propose une autre interprétation : "I guess that’s more my problem than theirs. Maybe helping out should be such a regular part of the fabric of daily life, like breathing, that there’s no need to say thank you". Effectivement, l'entraide est de règle chez les Kuna : par exemple, lorsqu'une famille doit rebâtir sa maison ou réaliser une extension, tous les voisins mettent la main à la pâte, encouragés par le Congrès qui définit les tours de rôle ! Et chacun est prêt à partager ce qui manque à d'autres, sans en attendre de compensation. Menencio Garcia nous montre le ciel et dit : "Pab Tummad [le Grand Esprit] nous le rendra !".

Services

Les Kuna demandent fréquemment aux plaisanciers 2 types de service : le transport de personnes et le dépannage d'objets "hi-tech". Très rares sont les familles, en déplacement dans les îlots-plantations, qui disposent d'une pirogue motorisée. Aussi la présence d'un "yate" peut-elle être l'occasion d'aller faire quelques emplettes au village d'origine. Quant aux moteurs hord-bord, postes de radio ou lecteurs de cassettes, les waga sont censés savoir les dépanner, et posséder un outillage dont les Kuna sont totalement dépourvus. Un peu de colle par-ci, une soudure par-là...

Cadeaux

81KLes bateaux de plaisance sont les seuls "habitats" occidentaux que beaucoup de Kuna ont l'occasion d'approcher. Quel contraste entre l'ameublement d'un "yate" et le dépouillement de leurs huttes ! Un jour où nous avions mal tiré le rideau-moustiquaire de l'entrée, une jeune femme invitée dans notre cockpit aperçoit les coussins éparpillés sur les banquettes du carré. Il n'y en avait pas moins de 7 ! "C'est beaucoup trop !", doit-elle penser. Elle nous demande alors, sans détours, de lui en donner un pour mettre sous la tête de son bébé. Nous acquiesçons – et complétons d'une serviette de toilette, d'un peu de savon liquide et d'une boîte de Cérélac. Le lendemain, elle reviendra avec une "molita" (petite mola), toute heureuse de nous faire à son tour un "regalo" (moka).

En fait, comme la plupart des humains, les Kuna aiment autant faire des cadeaux qu'en recevoir (voir au ch. Navigation idées de cadeaux). Comme ils ne possèdent pas grand-chose, et surtout rien de trop, ils offrent des objets qu'ils confectionnent eux-mêmes : un bracelet, un éventail... et bien sûr de la nourriture : des fruits, du poisson... C'est dans les petits hameaux que nous avons reçu les meilleurs témoignages de générosité ; par exemple sur le minuscule îlot de Warsadup.

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Vous avez dit "authenticité" ?

Oui

86KCaractères authentiquement Kuna : les valeurs morales et sociales ; l'absence de hâte, de fébrilité et d'agressivité ; habitat, organisation, cérémonies, cimetières, ulu, nele, nourriture, vêtements féminins ; absence totale de véhicules terrestres.

Non

21KParmi les déviances les plus apparentes, citons en vrac : dollar, partis politiques, missionnaires et églises de toutes confessions, aéroports, constructions en béton, moteurs hors-bord, télévision, fauteuils de polypropylène dans les huttes, poulets surgelés, lampadaires au sodium, habillement masculin, montres-bracelets, écoliers en uniforme...

Bilan

Un pessimiste affirmera que les Kuna sont déjà victimes des avatars les plus détestables de la vie "ladino" : désœuvrement, délinquance, consommation et/ou trafic de drogue, politisation, corruption, gaspillage des ressources naturelles. Comme tous les humains, les Kuna ont tendance à rejeter les fautes sur autrui. Seuls quelques esprits clairvoyants sont conscients du fait que leurs compatriotes courent eux-mêmes à leur propre perte, essentiellement à cause de l'argent ; et que le ver est irrémédiablement dans le fruit.

89KUn optimiste rétorquera que, dans l'inéluctable dérive mondialiste, les Kuna ont su préserver l'essentiel de leur mode de vie familial et communautaire, simple, tonique et généreux, et, par dessus tout, leur bonne humeur et leur joie de vivre.

De notre point de vue, tant qu'il n'existera pas de maisons de retraite au Kuna Yala, il fera bon y vivre :-)

Remerciements

– à Pablo et Jacinta Pérez, dont l'accueil envers les plaisanciers est légendaire
– à Federico Sagel, adjoint au sayla d'Ukubseny
– à Lydia et Maurice de "Blue Note", à Dominique et Thierry de "Servus", pour quelques unes des photos présentées ci-dessus.

Autres sites à consulter — Bibliographie

Sites Web

Télécharger le mémoire de J. Forichon "Les Kuna du Panama confrontés à la gestion de nouveaux déchets ménagers".
Kuna Yala o Dulenega : monographie (social, politique, économique, religieux etc.)
Kuna Yala por dentro : page d'information mensuelle (archivée)
dulenega.nativeweb.org : site culturel
Site d'Oswaldo De León Kantule : artiste-peintre (site en anglais et espagnol) :
intéressant glossaire de termes et de symboles Kuna, liens divers...
Séminaire sur la langue Kuna
Base de données Kuna

Bibliographie

Lecumberry M.: A la rencontre des Kunas, Txango-Publications, 2004
Ventocilla J. et al.: Plants and animals in the life of the Kuna. University of Texas Press, Austin, 1995, ou
Ventocilla J. et al.: El espíritu de la Tierra: Plantas y animales en la vida del pueblo kuna. Icaria, Barcelona, 1997.
http://dulenega.nativeweb.org/bibliografia.html

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